
El caso Inodoro Pereyra. El rol de lo irrisorio en la constitución de la identidad nacional Argentina
Résumés
[Français]
L’étude du rire joue un rôle fondamental pour saisir la manière dont se construisent et se voient renforcés les imaginaires de l’identité. Ces imaginaires se configurent non seulement dans le champ plus limité de ce que l’on appelle l’humour politique, mais plus encore dans celui d’autres genres humoristiques non explicitement en rapport avec la politique, notamment celui de la bande dessinée que nous analysons ici.
[Español]
El estudio de lo irrisorio resulta de vital importancia para entender cómo se construyen y refuerzan los imaginarios de identidad. Estos imaginarios no sólo se configuran en el campo más acotado del llamado humor político, sino todavía más en el de otros géneros humorísticos que no se encuentran explícitamente relacionados con la política, tal como el de la historieta que aquí se analiza.
Mots clés : Humour, Comique, Identités nationales, Analyse du discours, Fontanarrosa.
Palabras-claves: Humor, Cómico, Identidades nacionales, Análisis del discurso, Fontanarrosa.
Texte intégral
[Traduction de l’article par Béatrice Couteau].
Dans son œuvre classique Nations and Nationalism (1983), Ernest Gellner soutient que les nationalismes, en tant qu’idéologies d’unification, précèdent toujours la constitution des nations. Autrement dit, le nationalisme s’approprie les cultures et fonde sur elles les nations. La question des relations entre nation, nationalisme et culture en suppose une préalable concernant la question temporelle : lequel de ces éléments fonde les autres ? Certains théoriciens, tels Benedict Anderson, rejettent les positions essentialistes qui enracinent la nation dans des éléments objectifs et penchent pour une définition constructiviste : les nations sont des artefacts produits par les nationalismes. La question à propos de la nation exprimée par « qu’est-ce qu’une nation ? » peut donc se voir substituée par une autre : comment se construit la nation, à travers quels éléments les individus isolés d’une communauté déterminée parviennent-ils à sentir qu’ils font partie de celle-ci ? (Anderson 1996, Rodríguez Pérsico 1993, p. 6-7).
Nous croyons que l’analyse du discours apporte un outil puissant pour répondre à ces questions, en comprenant le terme discours comme toute matérialité investie de sens (Verón 1979, p. 133). En ce qui nous concerne, nous nous consacrerons à un type de discours fort peu étudié, bien que fondamental lorsqu’il s’agit de penser la manière dont se constituent et se renforcent les imaginaires nationaux d’identité : les discours comiques et humoristiques (1).
Nous considérons en effet qu’on ne saurait appréhender la façon singulière dont opèrent ces discours sans en comprendre la spécificité. C’est pourquoi nous consacrerons la première partie de ce travail à résumer quelques-unes de nos recherches antérieures en la matière (voir surtout Palacios 2014) pour passer ensuite à l’analyse d’un corpus de bandes dessinées d’une particulière importance dans la constitution de l’imaginaire national argentin. Il s’agit de la bande dessinée de parution quotidienne durant plus de trente ans (1972-2007), Inodoro Pereyra, de l’humoriste, dessinateur et écrivain argentin Roberto Fontanarrosa.
Surgie comme parodie du genre gauchesque (2) en général et du folklore vernaculaire au début des années soixante-dix à Córdoba (3), cette bande dessinée humoristique change peu à peu de support et de média jusqu’à devenir une bande dessinée du quotidien Clarín, l’un des plus importants journaux de grande diffusion d’Argentine. Ce parcours, qui déplace le personnage de l’aventure au sédentarisme, correspond selon nous à un passage du discours comique au discours humoristique, qui transforme peu à peu ce véritable marginal en un authentique symbole de l’argentinité, dans un contexte bien particulier : l’apogée de la dictature militaire la plus sanglante de l’histoire de l’Argentine.
Plus précisément, afin de réaliser notre analyse, nous avons sélectionné un corpus de bandes dessinées publiées entre les années 1972 et 1974 (trente-six bandes dessinées) dans le magazine de Córdoba Hortensia, au moment du surgissement et de la création du personnage ; puis un second corpus comprenant des bandes dessinées publiées dans le quotidien Clarín entre les années 1978 et 1983 (cent-six bandes dessinées), moment de transition et de retour à la démocratie. L’analyse permettra de vérifier l’hypothèse selon laquelle les discours comiques font nécessairement partie de la construction discursive de l’identité nationale promue par les médias et que les manières d’être comique et humoristique se trouvent étroitement imbriquées dans l’imaginaire de ce qu’implique « être argentin ». Par ailleurs, tel que nous tenterons de le démontrer, ces manières d’être permettent d’apaiser voire de dissoudre les conflits inhérents à toute construction identitaire, dans le cas du comique ; ou au contraire, de les rendre encore plus évidents, dans le cas de l’humoristique.
Le rire (4), le comique, l’humoristique.
Selon Bergson (2012), le rire est un phénomène surtout social et même – selon son expression – « paroissial ». On pourrait dire qu’il existe une « communauté du rire », dont les limites sont fixées par la compréhension de certaines blagues, de plaisanteries ou de « clins d’œil » intellectuels que quelques-uns, appartenant à cette communauté, saisissent, tandis que de nombreux autres, extérieurs à cette même communauté, ne saisissent pas.
Dans le cas des discours comiques et humoristiques circulant dans les médias, il est assez fréquent qu’une société s’identifie à quelques humoristes et qu’elle les adopte en tant que porte-paroles de sa manière de sentir et d’agir en politique. Ils deviennent ainsi des « appareils de lecture » de la réalité quotidienne. Ils sont le contrepoids nécessaire à tout ce qui est construit en tant qu’information. L’étude de ce type de discours s’avère par conséquent d’une importance fondamentale afin de comprendre comment se construisent et se renforcent les imaginaires d’identité, dans la mesure où dans la plupart des cas, le rire est occasionné à partir d’un présupposé que l’humoriste partage avec son public. Ces présupposés se légitiment comme portant sur « ce que tout le monde sait » et que celui n’appartenant pas à la communauté « ne peut pas ne pas savoir ». Mais de plus, et principalement, ce qui pousse certains individus à rire et, par contraste, n’en fait pas rire d’autres, aide à renforcer ces modèles d’identité. Le comique et l’humour contribuent à la construction d’un hypothétique être national non seulement à travers des symboles, des signifiants et des discours nous représentant, mais aussi, et beaucoup plus encore, par l’identification avec ceux qui « rient de la même chose ».
Nous distinguerons en premier lieu, dans le champ du rire, deux manières différentes d’agir, de parler ou de dessiner que nous appellerons, suivant une longue tradition, le comique et l’humoristique.
La plupart des théoriciens (Freud 1992, Bakhtine 2006, Bergson 2012) identifient le comique avec tout ce qui fait rire, l’humoristique ne constituant pour eux qu’une sorte de sous-ensemble du comique. La question de la distinction entre l’humour et le comique a éveillé, de longue date, des controverses passionnées. D’un autre côté, même les professionnels du rire ne reconnaissent pas de nos jours une spécificité à ces termes.
En fait, la distinction n’a jamais été évidente. Il s’agit donc d’une opération critique absolument semblable à celle pratiquée par Baudelaire quand il distingue, par exemple, le comique absolu du comique significatif (Baudelaire 1855). Il s’agit de reconnaître qu’il existe différentes manières de faire rire. Autrement dit, quand nous observons la réalité d’un point de vue risible, nous pouvons le faire de différentes manières. À grands traits, il est possible de rassembler ces dernières en deux groupes, que nous pouvons appeler comique et humoristique. Or le comique et l’humour sont sur un pied d’égalité. Tous deux font partie d’un domaine plus vaste que nous appelons le rire (en espagnol « lo irrisorio »).
En antéposant l’article neutre (5) devant l’adjectif irrisorio (défini par le DRAE (6) comme « tout ce qui provoque le rire et la moquerie », mais comme « insignifiant parce que petit »), nous tentons de rendre compte d’un vaste domaine incluant l’humour et le comique, la moquerie, la satire, l’absurde, la grimace, l’ironie, enfin, tout ce qui est associé au rire ; mais aussi le discours mélancolique, sans lequel il ne serait pas possible de comprendre l’humour. Le rire n’est pas « ce qui fait rire » mais un mode particulier de dire (ou d’agir, ou de dessiner) qui s’écarte de tout ce que nous reconnaissons comme « sérieux ».
Il s’agit donc d’une opération critique qui cherche à mettre en lumière la persistance, tout au long des siècles, d’une sorte de modalité que revêt tout discours et qui suppose des règles bien plus spécifiques qu’on ne pourrait le croire pour chaque époque et pour chaque société. Ces règles changent et se modifient, mais survivent aussi et se perpétuent de manière surprenante.
Dans cette perspective, nous pourrions dire que le comique tire ses matériaux d’un terrain idéologique commun partagé avec son public, « un accord idéologique basique » (Steimberg, 2013). Nous assistons ainsi à un « effet de reconnaissance », instaurant une complicité entre auteur et lecteur. Cette reconnaissance – qui constitue l’un des aspects essentiels de tout effet idéologique (Verón, 1979, p. 106) – entraîne un double résultat : celui de l’inclusion du lecteur qui fait alors partie de l’univers culturel du producteur et devient ainsi son « complice » ; et celui de l’exclusion de ceux qui ne possèdent pas la connaissance préalable nécessaire. Or, même dans ce dernier cas – celui du lecteur non familiarisé avec le code – l’effet de reconnaissance subsiste. Le lecteur ou le spectateur d’une blague peut retrouver un présupposé idéologique qu’il ne connaît pas à partir de la blague elle-même. Ou, suivant les paroles d’Eco : si le comique enfreint une règle implicite, même le lecteur ou le spectateur non familiarisé avec cette règle peut la recomposer à partir de la blague. Ces présupposés revêtent une importance cruciale pour articuler les imaginaires nationaux d’identité sur un point fondamental : celui des défauts avec lesquelles s’identifient les individus de cette nationalité. Défauts, qui par l’effet de ces discours, se voient reconnus comme évidents. Nous reviendrons plus tard sur ce point.
De son côté, la caractéristique principale de l’humoristique est que le discours se sépare de lui-même : ce qui est dit (ou dessiné ou joué) dans l’humour est dit à distance de ce qui est dit. C’est pourquoi la virtualité humoristique la plus radicale et la plus profonde consiste à rendre risible l’humour lui-même en raison de son impuissance face à la souffrance humaine. En ce sens, au contraire du comique, l’humour établit une relation critique consciente et explicite avec cet « accord idéologique ».
Cette différence est visible dans les images 1 et 2, construites à partir d’opérations discursives relativement semblables consistant toutes deux en la transformation d’un discours préalable. Dans le premier cas, de nature comique, le discours sérieux (la marque Coca-Cola) est altéré en vue de provoquer un effet risible. Le destinataire rit car il reconnaît la règle qui se trouve altérée, mais cette règle (la marque Coca-Cola) demeure intacte. Dans le deuxième cas, le renvoi à la marque est nettement moins clair et il n’est plus possible de savoir avec certitude de qui se moque l’image. Le sens réside en un point indicible, propre au discours humoristique. Il s’agit en outre d’un cas d’humour noir, cas, selon nous, paradigmatique de l’humour.
L’hypothèse sous-jacente serait donc que le comique et le discours comique contribuent à consolider les imaginaires d’identité avec lesquels une communauté déterminée se reconnaît elle-même et en même temps reconnaît l’autre qui l’excède et la délimite. C’est ce qui se produit à un niveau immédiat, « paroissial », comme le dit Bergson, mais aussi au niveau d’une nation. Ceci, à travers l’effet de reconnaissance déjà mentionné ainsi que les thèmes et les topiques abordés. Dans le cas des discours comiques, c’est-à-dire, des manifestations plus professionnelles et institutionnalisées du rire, les comédiens parviennent parfois à incarner les manières dont pense une classe sociale déterminée, devenant les porte-paroles du « sentiment national ».
En revanche, selon ces réflexions, sa contrepartie, l’humour, ne pourrait contribuer à construire aucune identification, parce qu’il agit justement en tant que destructeur de toute identification. Cependant l’humoristique peut très bien être le germe d’une possible construction identitaire se fondant sur un vide du sujet de l’énonciation. Dans un autre travail, nous avons tenté de montrer comment les classes populaires se voient souvent elles-mêmes à partir de l’humour, en s’identifiant à ce que le discours hégémonique a à dire d’elles, et en menant quelquefois cette identification à l’extrême. Cela peut même se produire dans les cas les plus extrêmes, dans l’humour noir et dans l’humour absurde.
Dans la section suivante nous essaierons de montrer comment la BD Inodoro Pereyra (le sympathique gaucho (7) créé par Roberto Fontanarrosa) peut être divisée en deux périodes : la première, humoristique, consistera en l’identification, par les lecteurs possibles, de tout ce que n’est pas ce personnage, en fuyant la dénomination de tout ce que peut être un gaucho et, par extension, un marginal et un « subalterne » (8).
Dans la seconde période, comique, l’auteur emploiera la stratégie inverse, le personnage pouvant ainsi être identifié avec ce qu’on entend, de manière conventionnelle, par « un Argentin ordinaire ».
Le cas Inodoro Pereyra
Publiée pour la première fois en 1972 dans le magazine humoristique Hortensia, la BD Inodoro Pereyra connut un succès extraordinaire, ce qui lui permit de se perpétuer pendant plus de 34 ans, jusqu’à la mort de son auteur. Après Hortensia, la BD sera publiée dans la revue humoristique Mengano (1974-1975), puis dans la revue d’actualité Siete Días Ilustrados (1976 -1978), et paraîtra enfin dans Clarín, qui était déjà le quotidien de plus fort tirage en Argentine. Elle continuera à être publiée dans Clarín jusqu’en 2007. Et c’est à partir de son incorporation à ce quotidien que la BD se transforme, et passe du mode humoristique au mode comique, son protagoniste devenant alors l’un des personnages emblématiques de l’ « argentinité ». « Un Argentin comme n’importe quel autre » – dira Fontanarrosa lui-même, qui « voit passer l’actualité avec un étonnement proche de la confusion » (Fontanarrosa 1998, p. 6). Toutefois, nous limiterons le corpus, afin d’articuler la relation entre langage et idéologie et d’inclure dans l’interprétation les savoirs provenant d’autres domaines (Courtine 1981, Verón 1979), dans ce cas, du domaine des études sur l’humour et le rire, en l’articulant avec les conditions sociohistoriques de production (Verón 1979). Dans un premier temps, nous analyserons un corpus de bandes dessinées publiées entre 1972 et 1974 dans le magazine de Córdoba Hortensia, dans le contexte des mouvements politiques sociaux ayant affecté cette province (le fameux Cordobazo de 1969 qui a pu être comparé à Mai 68), puis ayant connu des répercussions dans l’ensemble du pays. Dans un deuxième temps, nous analyserons un corpus de bandes dessinées publiées entre 1978 et 1983 dans le journal Clarín, dans le contexte de la dictature militaire argentine (1976-1983). L’année 1978 revêt une importance particulière, en raison de la célébration de la coupe du monde de football au cours de laquelle la dictature aurait tenté de donner une impression d’ouverture envers l’intérieur du pays et envers le monde. Même si la répression, la torture et la disparition de personnes allaient se poursuivre jusque dans les années quatre-vingts, c’est à partir de cette relative ouverture que commence à se consolider dans les médias une image identitaire articulée autour de l’opposition à un pouvoir répresseur (un « nous » [les Argentins] opposé à un « eux » [les détenteurs d’un pouvoir] auquel ce « nous » ne participe pas).
À travers divers processus largement étudiés dans l’histoire de la culture argentine (voir par exemple Schvartzman 2013, Rama 1982, Ludmer 2000) ; le gaucho a cessé de jouer le rôle de l’autre, auquel la littérature gauchesque avait pour la première fois donné la parole, pour représenter le paradigme de l’argentinité. Au moment où la BD paraît pour la première fois, en 1972, le gaucho était déjà une image fortement cristallisée, non seulement par la littérature, mais aussi par le tango, le cinéma, la radio et la BD. Fontanarrosa s’est saisi de cette image cristallisée pour en faire une parodie, mais une parodie menée à une telle extrémité qu’elle n’était, ni ne saurait être, le véhicule d’aucun enseignement moral, d’aucune identification.
Le premier épisode est publié dans le numéro 24 du magazine Hortensia. Quand, un peu plus tard, le premier volume des livres sera publié, le premier épisode ouvrant l’anthologie sera le second, intitulé « Cuando se dice adiós » (Lorsque l’on dit adieu) publié à l’origine dans le numéro 25 de la revue, sans titre. Ce deuxième chapitre fut largement commenté, puisqu’il réécrit, sous forme de parodie, une des scènes clé de la Ida (l’Aller), le premier livre du Martin Fierro, dans laquelle deux ordres de la légalité, (celui de la cité et celui des gauchos) se croisent (scène borgésienne par excellence) (9).
« Cuando se dice adiós » est en fait le nom d’une zamba (10) (de Jaime Dávalos et d’Eduardo Falú). La suite, pourtant, n’a presque rien à voir avec les paroles de celle-ci, si ce n’est par le fait qu’il s’agit d’adieux. Un effet de reconnaissance est instauré, mais son signifié demeure en suspens. Peu importe si les lecteurs connaissent ou non le sens de cette phrase dans son contexte d’origine. Peu importe, d’ailleurs, s’ils en reconnaissent la provenance. L’important, dans ce cas, c’est que soit générée une attente par rapport aux traces d’une dénomination préexistante.
L’une des pré-conditions du rire, tel que nous l’avons dit plus haut, est l’inclusion du récepteur dans une communauté quelconque, constituée par ceux qui sont capables de rire à partir de ce que le comédien raconte. Ceux qui « comprennent » la blague (« comprendre » renvoyant ici à une opération tant intellectuelle qu’affective). Et par extension, bien sûr, leur différenciation vis-à-vis des membres exclus de la communauté. L’effet d’identification est d’autant plus puissant qu’il s’agit de groupes d’individus partageant une émotion. Et plus encore pour ceux qui, comme c’est le cas, lisent une publication dans la solitude de leurs chambres. Le rire au théâtre, dans un espace où les rires se nourrissent mutuellement les uns les autres, n’est pas le même que le rire surgi de la lecture indépendante, menée par un individu isolé. Dans ce dernier cas, l’effet d’inclusion est encore plus profond et durable car il agit sur des personnes dont la présence physique ne conditionne pas le sujet à ce moment-là.
Or, si notre hypothèse est correcte, au moins dans ce cas, il n’est pas nécessaire que ces individus reconnaissent de manière spécifique la provenance de la citation. Cela n’est ni plus ni moins drôle. L’effet de sens invoqué dans ce cas fonctionne malgré tout. Une telle référence pourrait même ne pas exister. Le syntagme aura l’apparence d’être la transformation de quelque chose de connu, même si, en fait, ce n’est pas le cas. Autrement dit, dans ce second cas, la parodie serait constitutive de l’objet parodié.
Dans le chapitre « Inodoro entre dans une pulpería » (11), où celui-ci est surpris par des soldats qui viennent le recruter pour la guerre des frontières (tel que cela se passe dans le Martín Fierro) il résiste et se bat. À un moment de la bagarre, l’un des soldats change de bande et rejoint celle de son opposant. On fait ici référence explicite au moment où, dans le Martín Fierro, le sergent Cruz se range aux côtés de Fierro, en superposant deux ordres de la légalité : la loi de l’État (du côté de la police) et la loi non écrite du courage (venant au secours de Fierro, puisqu’on ne saurait permettre qu’un homme se batte seul contre quatre). Dans la BD, il arrive la même chose : « Halte-là, froussard, ce n’est pas comme ça qu’on tue un brave » (12) (Dans le Martín Fierro, on lit : « Et il dit : Cruz ne consent pas à ce qu’on commette le délit de tuer ainsi un brave »).
Après le massacre qui suit, Cruz offre à Inodoro la possibilité de fuir vers les tolderías (13). La réponse est célèbre : « Vous savez ce qui arrive ? Je crois que j’ai lu cela ailleurs, et moi je veux être original ». Le changement est considérable, car dans ce cas il est vraiment important que les lecteurs reconnaissent la provenance de la citation. Ce n’est qu’en la connaissant qu’ils pourront restituer le sens comique de ce que dit Inodoro ainsi que tout autre sens. Il ne s’agit plus donc d’un simple brouhaha de fond.
La réplique d’Inodoro est avant tout une blague. Et doit donc être lue comme telle. Toutefois, qu’il s’agisse d’une blague ne nous empêche pas de penser quelle lecture politique « sérieuse » nous pouvons en extraire. Notre hypothèse, ici et au-delà, est que le projet qu’inaugure Fontanarrosa dans cet épisode, de manière explicite ou implicite, consciemment ou inconsciemment, intentionnellement ou non, est celui de récupérer une voix – qui n’est plus celle du gaucho mais celle des classes populaires –. Non pour dire tout ce qu’elle est, mais, au contraire, pour dire ce qu’elle n’est pas, et dans ce vide, faire surgir le moment politique d’une nouvelle appropriation. La stratégie propre du mode humoristique, ne sera donc pas de dire « je ne suis pas cela », mais de jouer, exactement, à l’être en mettant en relief la nature conflictuelle de toute identité.
Cette procédure est encore menée plus loin dans « Tu vas où, Gringo? » (Hortensia, nº 48, janvier 1974). Dans cet épisode, Inodoro est « interpellé » de manière absurde par une famille de touristes américains qui le rencontre dans la solitude de la Pampa. « Regarde, Lucy, voilà un “gaucho” – dit le père – il est brave et libre comme le simoun qui bat ses baraques » et il continue, face à la crainte de son épouse :
Tel que nous pouvons le voir, son explication obture par saturation tous les lieux communs du discours de l’exotisme sur le « subalterne », en mêlant des traits du romantisme (« brave et libre »), de l’animalisation (« Il n’attaque pas l’homme » ; « il est calme, Peeble, donne-lui des petits gâteaux, vas-y » ; « Comment va réagir Nicky quand il la verra ! Vu comment il se vante de sa photo prise avec un phoque… » ; « si c’est un “gaucho“, les guanacos (14), qu’est-ce que c’est » ?) ; de la soumission («Un bâillon. Pour ne penser qu’à sa monoculture de soja »), et de l’indolence (« Ils ne se servent pas de cartes de crédit, parce qu’ils les perdent en jouant aux osselets. »). Dans cet épisode est mise en évidence la complexe dialectique entre les paroles et les choses dans l’œuvre de notre auteur, qui est aussi, et d’ailleurs, celle de la dimension verbale et iconique du langage de la bande dessinée.
Ici les choses refusent de se soumettre à ces paroles ; ou plutôt, les paroles des autres glissent sur ces « choses » que sont les personnages Inodoro Pereyra et l’Eulogia (sa femme). En d’autres termes, ces derniers ne se laissent pas soumettre par le discours stéréotypé qui cherche à les définir : mais ils ne s’y opposent pas non plus par une argumentation raisonnée, sur la base de l’idée de ce qu’ils « sont » en réalité. Leur opposition est humoristique. Face à cette exaspération parodique de tous les procédés avec lesquels nous adjectivons ce qui est étranger, du côté d’Inodoro, il n’y a qu’un geste muet, qui ressemble au regard du public lorsque un clown achève son action. Le même regard que celui de l’Eulogia dans l’épisode « Eulogia ». Bref, un geste, tel que le dit Agamben, qui « rend possible l’expression dans la mesure où il instaure chez elle un vide central » (Agamben 2006, p. 87). C’est dans ce geste, tel que nous le verrons, que s’installe le sujet humoristique dans la mesure où il ne provoque aucune réplique de la part d’Inodoro.
Quelques années plus tard, paraissant alors dans le quotidien Clarín, ce gaucho sauvage, violent, ivrogne et aventurier, deviendra un personnage plus sympathique, sédentaire, qui s’éloigne à peine des limites de sa chaumière et ne peut rester en silence une seule seconde, le déroulement du récit dépendant entièrement des calembours et des jeux de mots déployés au long des dialogues avec son chien, Mendieta. Ce second Inodoro dialogue avec les nouvelles de l’actualité et les commente sur un ton sérieux, dans un contexte politique fort différent.
Le comique peut adopter deux stratégies différentes. Il peut soit dénoncer tout ce qui nuit à l’ordre sur lequel il s’appuie, à la manière d’un bouffon de cour, en cherchant à récupérer l’état le plus pur de cet ordre tombé en disgrâce par la faute d’un agent spécifique ou par la nature humaine elle-même, tel que cela arrive souvent dans l’humour politique ; soit se moquer de la série de faiblesses caractérisant cette nature et soutenant aussi cet ordre, en en identifiant les membres en tant que partie indispensable de cette manière d’agir. C’est dans ce second sens qu’Inodoro Pereyra représenterait par exemple les Argentins de classe moyenne, à partir des défauts dont ils se sentiraient paradoxalement fiers.
Ainsi, lors de cette seconde étape, la bande dessinée constitue-t-elle un nous (les Argentins) qui s’oppose aux autres qui sont, alternativement : les étrangers (brésiliens, américains, russes) et les représentants de certaines couches sociales dont les idées et croyances ne coïncideraient pas avec celles des lecteurs de la BD : autrement dit, les représentants des classes privilégiées (aristocrates, oligarchie, « gorilas » (15)), des classes défavorisées (les classes les plus populaires, représentées par les indigènes) ou d’autres classes (intellectuels, militaires, politiques). L’épisode intitulé « El diablero malambiador » (Le diable malambiador [qui danse le malambo]) est par conséquent radicalement opposé à l’épisode analysé plus haut (Fontanarrosa 1998, p. 333).
Dans cet épisode, une fois encore, il s’agit d’un groupe de touristes, mais cette fois-ci, ce sont des « uruleños et des brasiguayos » (déformation amusante par entrecroisement des syllabes de : Uruguayens et Brésiliens) qui viennent assister à une « démonstration d’habileté créole, par don Inodoro ». Eulogia (sa femme) et le Mendieta (son chien) manifestent leurs inquiétudes étant donné qu’Inodoro est sorti en direction du hameau : « C’est sûr qu’il est parti acheter un jeu de boliadoras [instrument constitué de deux ou trois boules de pierre attachées à des courroies pour apprivoiser les animaux] pour danser le malambo acrobatique » (16). « Le pauvre don Inodoro », -dit l’Eulogia. Ce qu’il faut pas faire pour gagner son pain! Je me l’imagine déjà se présentant comme “Le Diable qui danse le malambo”. Un vrai Jorge Don (17) de l’esprit argentin pour touristes ! » (18). Ce à quoi, Mendieta réplique d’abord : « Que Martín Fierro le pardonne » puis « Ma terre, on est en train de te changer, ou, pire encore, on t’a déguisée ».
Comme nous pouvons l’observer, ce n’est pas l’existence d’une tradition qui est mise entre parenthèses, pas même ce qui est attribué à cette tradition (les « boleadoras », le malambo, le folklore). Le rire y est construit sur l’identification de quelques défauts (« ce qu’il faut pas faire pour gagner son pain »). En fait, quand Inodoro arrive enfin, il déplace le sens de la dénomination « destreza crioya » (« habileté créole », orthographe fautive en espagnol) vers le même type de défaut : « Ben, j’ sais pas comment j’ai fait, mais avec la paye de la quinzaine j’ai acheté du maté, du savon “Pinche” (marque ancienne), du pain et même des pêches au sirop (en espagnol, “almíbar”, dont l’orthographe est confondue dans la BD avec le prénom Aníbal). Si ça c’est pas de l’habileté créole, Mendieta, que le bon Dieu et la Patrie me le demandent (19) » (le texte reproduit ici le serment des personnalités politiques au moment de leur investiture). Ce type de « démonstration d’habileté » non seulement ne trompe pas les touristes latino-américains mais, au contraire, nous laisse voir ce à quoi ils s’attendaient justement.
Dans l’histoire culturelle gauchesque, cet autre social qu’avait été le gaucho s’est vu peu à peu transformé en emblème de l’identité argentine, c’est-à-dire, de ce qui configure l’appartenance des Argentins à la même chose. De plus, Inodoro Pereyra réalise aussi ce transvasement de cette figure indéfinissable s’opposant à toute nominalisation vers ce personnage avec lequel pourraient s’identifier les lecteurs en tant qu’ « Argentins ordinaires ». Il ne sera plus désormais le renégat, le fugitif, le héros, il sera par conséquent, le fumiste, le malin, l’antihéros. Une fois qu’il paraît dans Clarín, le personnage se stabilise : il ne voyage plus, n’a plus d’aventures, ne cherche plus l’amour d’autres femmes. À peine abandonne-t-il les abords de son gourbi. Il « n’agit plus », il fait part de ses opinions. Il occupe une temporalité sans temps, qui admet à la fois des caractéristiques et des figures ancrées dans le 19è siècle et des commentaires sur l’actualité contemporaine. C’est ce qui arrive dans les épisodes de 1978 où Inodoro atteint le sommet de la ferveur patriotique :
Cela dit, il ne s’agit pas à présent d’un anachronisme risible (la subite irruption d’éléments contemporains dans une atmosphère historique qui amuse) mais de l’une des caractéristiques propres de cette bande dessinée telle qu’elle se configure à cette époque.
C’est justement ce qu’il est possible de vérifier dans l’épisode « Los viernes de luna yena » (« Les vendredis de pleine lune », Fontanarrosa 1998, p. 339), mettant en scène la narration par une vieille femme d’une histoire d’apparitions par une nuit venteuse : « C’est par une nuit pire que cette nuit-là qu’est apparue l’âme en peine du Porfirio Testuz. Le vent sifflait entre les arbres ». Inodoro: « Bon, ça arrive souvent ». La vieille femme: « Oui, mais il sifflait une marche funèbre ».
Le récit se poursuit, terrifiant Eulogia et Mendieta qui frémissent à chaque commentaire. Inodoro, par contre, n’en semble pas affecté. Le dit Porfirio Testuz [nom qui joue sur la paronymie Porfirio-Porfiado (porfiado signifiant têtu)] était « un septième fils. Et au lieu d’être le filleul du président, il avait préféré être loup-garou (20) ». À la fin, Eulogia, très apeurée, rentrant chez elle, demande « Dites donc, don Inodoro !… Ça ne vous fait pas peur les histoires d’apparitions ? ». Et Inodoro: « Vous savez quoi, Eulogia ? Eh ben, même là-dessus, ils nous ont changés. Avant, c’était des histoires d’apparitions. Maintenant ce sont des disparus. Et c’est pas des histoires ».
Comme on peut le voir il y a ici un nous « ils nous ont changés » et un eux clairement présents dans le sujet (sujet tacite en espagnol). Mais plus encore, on peut supposer que les lecteurs savent que lorsqu’Inodoro parle de « disparus », il ne parle pas de fantômes.
En guise de conclusion
Nous avons tenté de démontrer comment le comique et l’humoristique, bien que de manière fondamentalement différente, jouent un rôle de grande importance dans la constitution des imaginaires nationaux d’identité. Dans le cas du comique, en identifiant son auditoire au moyen d’éléments communs investis d’une certaine « cuirasse » émotionnelle; mais aussi par le signalement de certains éléments auxquelles la communauté se sent identifiée. Inodoro, dans sa phase comique, construit un « nous, les Argentins » qui se différencie d’une série d’« autres » : les étrangers (brésiliens, américains, russes), les représentants de certaines classes sociales « privilégiées » (aristocratique, oligarchique), de classe défavorisée (les classes les plus populaires, représentées par les indiens), ou d’autres classes (intellectuels, militaires, politiques).
Dans le cas d’Inodoro Pereyra, l’assimilation identitaire que le personnage établissait avec ses lecteurs était remise en question durant les premières années de la bande dessinée (dans sa phase humoristique). Un peu plus tard (dans sa phase comique), la bande dessine réincorpore quelques-uns des éléments constitutifs de cette identité, transformant ainsi le personnage en paradigme du citoyen argentin moyen.
Le cas Inodoro Pereyra ne constitue qu’un exemple de la manière dont les discours comiques façonnent, renforcent et configurent les imaginaires nationaux de l’identité argentine en nous faisant rire de certaines défauts qui représentent les Argentins en tant que partie d’un tout qui les subit. En ce sens, le comique dissout de cette manière ce que l’identité comporte de conflictuel. Sans garantie aucune de réussite (les lecteurs et/ou les spectateurs pourraient se sentir vexés par ce à propos de quoi on prétend les faire rire), cette opération s’avère cependant généralement assez efficace.
L’humoristique, en revanche, remet en question cette identité afin de démontrer tout ce qu’elle comporte précisément de construit. Bien que moins répandue, cette stratégie est également très efficace, dans la mesure où c’est le sujet d’énonciation, dans ce cas, qui se met lui-même entre parenthèses.
Penser l’identité comme une construction implique également de penser les stratégies avec lesquelles cette construction est mise en place. Dans le cas des discours risibles, nous avons tenté de montrer non seulement leur importance dans la configuration de ces identités, mais aussi les différentes formes à travers lesquels les citoyens d’une nation se voient eux-mêmes comme égaux. Si le comique nous permet de nous affirmer dans notre rôle d’individus appartenant à une communauté déterminée ; l’humour nous offre la juste dose de scepticisme sans laquelle, croyons-nous, cette communauté ne serait pas non plus possible.
Références
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Notes
1 La différence entre les uns et les autres sera expliquée plus loin, dans le développement de l’article.
2 Cet adjectif dérive du substantif gaucho, terme que nous définirons en infra.
3 Située dans le centre géographique du pays, cette ville – -l’une des trois les plus importantes (les deux autres étant Buenos Aires et Rosario) fut l’épicentre, en mai 1969, d’une suite d’événements de protestation connus comme « el Cordobazo ». Córdoba est en outre connue pour l’idiosyncrasie de ses habitants, reconnus pour leur forme particulière d’humour, dit « humour cordobés ».
4 À la place de « rire », en espagnol nous utilisons le terme irrisorio qui comporte une série d’avantages pour décrire le champ de tous les phénomènes associés au rire. Ce terme désignant à la fois « ce qui cause le rire » et « l’insignifiant car petit », adoptant ainsi une nuance péjorative qui convient à notre point de vue en la matière, étant donné qu’il recouvre aussi bien « ce qui fait rire » (de manière passive) que « ce qui le cause » (de manière active). Nous avons élaboré nos définitions du terme irrisorio dans Palacios (2014, 2013b y 2011a).
5 En espagnol il existe, en plus des articles masculin (el) et féminin (la), un article neutre : lo.
6 Dictionnaire de la Real Academia Española.
7 Pour ceux qui ne seraient pas familiarisés avec ce terme propre à la culture argentine, le gaucho, prototype du paysan de la Pampa, a tout d’abord été considéré comme un marginal et un délinquant au 19e siècle, pour occuper au 20e siècle la place de symbole national par excellence. L’emblème de la Coupe du monde de 1978 était d’ailleurs un petit gaucho. Voir en particulier Ludmer (2000).
8 Ce terme évoque les analyses d’Antonio Gramsci et les études postcoloniales de Gayatri Spivak (voir par exemple Spivak 2009).
9 L’un des principaux thèmes dans l’œuvre de Borges avait été la possibilité de donner la voix à l’« autre » le marginal, le gaucho, le barbare.
10 Danse d’origine folklorique.
11 Bar de campagne, fréquenté par les gauchos.
12 « Alto, maulas, así no se mata a un valiente ».
13 Ensembles de huttes habitées par les indiens d’Argentine.
14 Les guanacos sont des camélidés sauvages d’Amérique du Sud. Le terme pouvait être méprisant.
15 C’est ainsi que l’on désignait péjorativement les “antipéronistes”.
16 « Di seguro que pa comprar un juego e’ boliadoras luminosas pa bailar malambo acrobático ».
17 Jorge Donn fut un danseur argentin né á San Juan, très célèbre à l’époque.
18 « ¡Las cosas que hay que hacer pa ganarse el puchero! Ya me lo afiguro priesentándose como ” El Diablero Malambiador ” ¡Un Jorge Don de la argentinidá for expór! ». Les mots sont volontairement orthographiés avec des erreurs d’orthographe, tels que prononcés par les personnages.
19 « Güeno, no sé cómo hice, pero con la paga e’ la quincena compré yerba, jabón pinche, gayeta y hasta duraznos en aníbal. Si eso no es destreza crioya, Mendieta, que Tata Dios y la Patria me lo demanden ».
20 La coutume argentine veut que les septièmes enfants soient les filleuls du président de la république.
Pour citer cet article
PALACIOS Cristian, « Le cas Inodoro Pereyra. Le rôle du rire dans la construction de l’identité nationale argentine », Dossier électronique ADAL (Analyse des Discours de l’Amérique Latine): “Identités sociopolitiques dans les discours latino-américains”, été 2016, p. 30-43. URL : http://www.adalassociation.org/fr/documentation/108-dossier-identites-sociopolitiques/219-le-cas-inodoro-pereyra-le-role-du-rire-dans-la-construction-de-l-identite-nationale-argentine