
1.3. L’Invisibilisation
Avec le dispositif de la citoyenneté et le discours de la « démocratie raciale » est apparu l’invisibilisation du sujet Noir. L’« invisibilité » se présente comme un processus d’annulation ou d’effacement social et historique de l’autre, qui trouve, dans le cas colombien, sa réalisation maximale à travers le blanchiment social mené par les élites, nationales et régionales, tout au long du 19e siècle et d’une bonne partie du 20e siècle, et est reproduit dans les récits de l’histoire officielle de la nation (Friedemann, 1992).
De ce fait, la population noire, poussée par un présumé métissage homogénéisant qui demandait une Amérique latine sans Noirs, se confronte à une auto-renonciation aux particularités ethniques et culturelles qui lui sont propres. En d’autres termes, les sujets noirs vont disparaitre de l’histoire officielle, disparaître en tant que particularité sociale et raciale de la vie politique, culturelle et sociale de la Colombie.
Ainsi que nous pouvons l’observer, le processus de « fuite du noir vers le blanc » décrit par Friedemann rappelle le processus de masquage que décrit Fanon (1952), dans son étude psychanalytique sur l’intériorisation (épidermisation) du complexe d’infériorité dont le Noir des Antilles Françaises est porteur. Celui-ci tente de se rapprocher du sujet blanc (français) à travers le « mimétisme » linguistique et culturel[6], et dans cette tentative finit par être « pris » par sa propre négritude, victime d’une « déviation existentielle » créée par la civilisation blanche, qui industrie l’idée du Noir comme race inférieure (Fanon 1952, p.15).
Pour Fanon, la tâche de « libération » n’est pas seulement matérielle mais aussi et surtout mentale. Ceci suggère que la responsabilité de dépasser sa « servitude » revient au Noir lui-même, car le but est d’« aider le Noir à se libérer de l’arsenal complexuel qui a germé au sein de la situation coloniale » (Fanon, 1952, p. 24). Pour l’auteur, la meilleure façon serait de ne pas entrer dans une logique de glorification du Noir et de rejet du Blanc, car ce qui est en jeu est la libération du Noir en tant qu’homme, en tant que sujet, au-delà de son ethnie ou de sa race.
Pour le cas colombien, Nina Friedemann creuse un autre angle d’analyse, davantage anthropologique et culturel que psychiatrique ou politique. Ainsi, elle défend dans son travail le fait que face à l’exclusion née du discours racial, seules les « traces d’africanité »[7] ancestrales nous permettent aujourd’hui de redécouvrir cette partie de leur mémoire culturelle « oubliée » par l’histoire officielle. Les « traces d’africanité » s’extériorisent et sont reflétées dans les manifestations festives, dans l’éthique sociale et religieuse, dans la littérature, dans le langage, l’habillement et l’alimentation de la population afro-descendante[8]. Ces « traces d’africanité » s’appuient, de plus, sur la démographie historique qui confirmerait un lien ethnique et culturel entre les Africains déracinés et l’Amérique coloniale, où se trouveraient des populations qui se revendiquent comme descendantes des premiers.
1.4. Excursus philosophique
De nombreux travaux d’histoire (Munera, 1998), d’anthropologie (Restrepo 2007, Mosquera, 2007) et de sociologie (Wade, 1993) ont vu le jour pour déconstruire cette « invisibilité » et mettre le sujet noir au centre des préoccupations, non seulement scientifiques, mais aussi et notamment sociales et politiques. Mais en quoi cette révision de l’histoire participe-t-elle à la « création » du Noir en tant que sujet – ou subjectivisation du Noir ? La réponse à cette question comporte plusieurs points.
Tout d’abord une relecture de cette historiographie nous permet de rétablir une vérité, celle de la présence des Noirs sur le territoire colombien, de leur participation à la vie quotidienne et au système social et politique de la société colombienne. En deuxième lieu, le Noir peut enfin être perçu en tant que sujet car on lui reconnaît une existence : le Noir est, car le Noir existe ! En ce sens, le Noir est proche de la notion de sujet, non dans le sens moderne et politique (un citoyen) mais comme Dasein, la notion de sujet comme présence, c’est-à-dire « d’être-au-monde et de pouvoir-être, ce qui signifie qu’il se détermine non plus par une essence fixe [depuis la vision du colonisateur et du maître], mais par ses possibilités et par le futur » (Védrine, 2000, p. 41-42). Cela revient à dire qu’en rétablissant la présence des Noirs dans la « mémoire » de la nation colombienne, on leur accorde aussi le droit d’existence, le droit au passé et au présent mais aussi au futur, et cette projection offre au sujet noir un projet de réalisation de soi qu’on lui a si longtemps nié. En ce sens et en troisième lieu, les historiens qui remettent en cause les récits de l’historiographie déterministe du 19e siècle, montrent que le Noir a depuis toujours été sujet, car le Noir a toujours agi dans ce monde social qui l’a rejeté ou « invisibilisé », et cet agir a été symboliquement très fort au moment de sa participation aux guerres d’indépendance face à la colonie espagnole, dans la mesure où le Noir y a montré son aspiration à la liberté. La liberté est une exigence majeure de l’humain et de l’être sujet, elle est la condition de la possibilité d’être « en-soi et pour-soi »[9]. Le Noir a donc toujours été sujet, car durant les siècles d’esclavage et d’assujettissement il a toujours cherché la liberté, il a été un homme révolté (Camus, 1951).
2. Les changements apportés par la Constitution politique colombienne de 1991 : l’entrée de la population noire dans la vie sociale, culturelle et politique
2.1. L’éveil des identités culturelles
Ceux qui partagent l’idée de l’« invisibilité » du Noir dans l’historiographie et dans la vie politique, sociale et culturelle de la Colombie, considèrent que le changement substantiel se produit avec la Constitution Politique de 1991 (CPC-91). En effet la Colombie a reconnu le caractère multiculturel et pluriethnique de sa population avec la promulgation de cette nouvelle constitution. En cette circonstance, sont entrés en jeu de nouveaux acteurs sociaux, revendiquant la défense de droits différenciés et/ou ethniques pour les populations indigènes et noires du pays. Cette nouvelle situation de reconnaissance constitutionnelle offre aux défenseurs de l’existence d’une identité culturelle noire l’article constitutionnel n°55 selon lequel les « communautés noires qui occupent des terres non cultivées dans les zones riveraines des rivières du bassin du Pacifique » devront être respectées dans leurs traditions culturelles. Grâce à cet article transitoire (devenu loi 70, le 27 juillet 1993), les Noirs, comme composante ethnique et culturelle, entrent officiellement dans l’ordre des représentations politiques et institutionnelles de la nation colombienne.
À partir de ces éléments, nous pouvons dire, d’abord, qu’avec l’affirmation en faveur du respect, de la défense, de la sauvegarde et de la promotion de la pluralité culturelle, qui arrive « d’en haut », c’est-à-dire de la Charte Constitutionnelle, on souscrit à l’inclusion historique d’une partie de la population nationale, indigène et noire, qui jusqu’alors ne bénéficiait pas de reconnaissance explicite. En conséquence, la nouvelle situation, qui représente un tournant dans l’histoire récente de ce pays latino-américain, nous offre un bon exemple pour expliquer comment une société passe du récit imaginaire (Anderson, 1997) de l’identité monoculturelle à la reconnaissance des identités, un changement qui s’accompagne de ce que nous appellerons la « politisation des identités culturelles ».
Nous désignons par l’expression « politisation des identités culturelles » le processus par lequel l’identité du groupe se transforme en outil de combat pour le pouvoir (symbolique et politique) et en cause de conflit (social, économique), c’est-à-dire quand des jeux de conquête du pouvoir se mêlent à l’appartenance à un groupe ethnoculturel déterminé (comprendre différencié), de sorte que les relations entre les porteurs des identités culturelles différenciées ne s’établissent plus en fonction de la place historique qu’ils ont occupée ou occupent (ou bien la place du dominateur – nous – ou bien la place du dominé – les autres). Au contraire, ce que suppose la « politisation des identités culturelles » est qu’identité et culture sont associées, explicitement, aux relations de jeux de pratiques ou d’actions politiques[10].
2.2. Loi 70 de 1993 « Communautés noires »
La loi 70 de 1993, mentionnée plus haut, se prononce sur divers aspects : accès à la terre, politique, ethnoéducation et promotion de recherches académiques. Elle affirme par exemple que
L’État adjugera aux communautés noires dont traite cette loi la propriété collective sur les zones qui (…) comprennent les terres non cultivées des zones rurales riveraines des rivières du Bassin du Pacifique [à l’ouest du pays] et (…) qu’ils occupent conformément à leurs pratiques traditionnelles de production. Les terrains à l’égard desquels se détermine le droit à la propriété collective seront dénommés pour tous les effets légaux « Terres des Communautés Noires » (Loi 70, 1993 : chapitre III, art. 4).
Mais la loi 70 va au-delà de la revendication du droit aux terres ancestrales et parle aussi d’ethnoéducation ; ainsi, dans son chapitre VI, elle déclare la nécessité du respect inaliénable d’une éducation spécialement orientée par la particularité ethno-historique de la population noire, proposant dans le corps de la loi les mécanismes pour protéger l’identité culturelle « afro »-colombienne
L’État colombien reconnaît et garantit aux communautés noires le droit à un processus éducatif conforme à leurs nécessités et aspirations ethnoculturelles (Loi 70, 1993, chapitre VI, art. 32). L’autorité compétente adoptera les mesures nécessaires pour qu’à chacun des niveaux éducatifs, les programmes s’adaptent à cette disposition. Comme mécanisme de protection de l’identité culturelle, les communautés noires participeront à la conception, à l’élaboration et à l’évaluation des études d’impact environnemental, socio-économique et culturel, qui sont réalisées sur les projets qu’on veut mener dans les zones auxquelles se rapporte cette loi (Loi 70, 1993, chapitre VI, art. 44).
La loi prévoit, de plus, en matière économique, que « L’État adoptera des mesures pour garantir aux communautés noires dont traite cette loi le droit de se développer économiquement et socialement en tenant compte des éléments de leur culture autonome » (Loi 70, 1993, chapitre VII, art. 47). De même, « Le Gouvernement promouvra et financera des activités de recherche visant la promotion des ressources humaines et l’étude des réalités et potentialités des communautés noires » (Loi 70, 1993, chapitre VII, art. 50).
Au niveau politique, la loi suggère que « conformément à l’article 176 de la Constitution Nationale, une circonscription spéciale est établie pour élire deux membres des communautés noires du pays en assurant ainsi leur participation à la Chambre des Représentants » (Loi 70, 1993, chapitre VIII, art. 66)[11].
Mais malgré tous les aspects positifs de la loi, très tôt, on a formulé contre elle une critique qui consiste à affirmer que, bien que cette loi contredise l’idée amplement répandue de la « démocratie raciale », elle se montre réductrice dans sa catégorisation des caractéristiques qui définissent une « communauté noire » comme « l’ensemble des familles d’ascendance afro-colombienne qui possèdent une culture qui leur est propre, partagent une histoire et ont leurs propres traditions à l’intérieur de la relation ville/campagne, révélant et conservant la conscience de leur identité qui les distingue d’autres groupes ethniques » (Loi 70, chapitre I, art. 2)[12]. En effet, une part conséquente de la population noire colombienne se trouve dispersée dans les centres urbains et/ou habite la Côte Caraïbe sur l’Atlantique, et dans certains cas les Noirs sont intégrés à des dynamiques urbaines qui remontent à la période même de la colonie et de la première république (Munera, 1998 ; Helg, 2000). Dans ces cas, les populations, leurs modes de vie et leurs expériences socio-historiques, ne correspondent pas à ceux décrits par la loi 70, qui offre une définition indigénisante du noir.
Le caractère réducteur de cette catégorisation de l’identité noire est causé par ce que les anthropologues et les sociologues ont nommé l’indigénisation ou indianisation de l’identité noire (Wade, 1993 ; Hoffmann, 2000). En Colombie, cette indianisation de l’identité a fait que la population noire urbaine s’est vue niée dans son identité ethnique. De ce fait, il a été nécessaire d’élargir les caractéristiques de la catégorie de « communauté noire » proposée par l’État (les législateurs). Ainsi, s’introduit une nouvelle catégorie, plus inclusive, qui ne perd pas de vue le caractère dynamique et fluide de l’identité ; les notions d’« afro-colombiens », puis « afro-descendants » et « afro-réparations »[13] seront les nouveaux vocables qui permettront d’échapper à la catégorie raciale de « Noir », complexe et chargée d’une connotation historique négative, pour construire un nouveau sujet, l’« Afro » qui se présentera comme la face positive d’autres appellations coloniales moins glorieuses, telles celles de « mulâtre », « tercerón » et « zambo ».
Cette nouvelle catégorisation (« Afro ») suscite une avalanche de questions, parmi lesquelles : qui est l’« Afro » ? Tous les Noirs sont-ils des « Afros » ? Quand et comment un « Noir » devient-il un « Afro », aux yeux de l’État, des universitaires, des associations et à ses propres yeux ? Étant donné qu’en principe, la loi 70 de 1993 avait proposé une définition étroite et « indigénisée » de la population noire colombienne, qui semblait inclure uniquement les « communautés noires » du Pacifique colombien, les représentants des populations noires, à travers le Processus pour les Communautés Noires (PCN 1994), vont obtenir un élargissement juridique et politique des effets de la loi 70. Concrètement, face aux questions précédentes, la réponse serait que tout Colombien qui se sent « afro » puisse obtenir l’aval d’une association d’« Afros », qui à son tour serait reconnue comme telle au niveau de l’État par le biais de la « Direction des Affaires pour les Communautés Noires [de la région Pacifique du pays], Afrocolombiennes [populations noires en général], Raizales et Palenqueras »[14] (Dirección de Asuntos para Comunidades Negras, Afrocolombianas, Raizales y Palenqueras) du Ministère de l’Intérieur et de la Justice.
3. De l’ethnicisation de la race à la racialisation de l’ethnie via la notion d’« afro »
3.1. Ethnicisation de la race
La nouvelle constitution de 1991 a, à la fois, libéralisé et « multiculturalisé » le pays. Elle l’a libéralisé (au sens formel, constitutionnel) en ce qu’elle a sécularisé l’État et garanti, de manière très libérale, le libre développement de la personnalité. Elle l’a « multiculturalisé » (de nouveau, au sens formel), en déclarant la Colombie nation « multiethnique et pluriculturelle » ; ce qui a impliqué de reconnaître la diversité (ethnique, religieuse et régionale), non comme un obstacle pour atteindre l’identité nationale, mais comme une partie constitutive de la nation elle-même et comme une richesse à protéger. L’effet immédiat le plus visible de cette reconnaissance a été que les communautés indigènes ont gagné le droit de conserver leur langue, leurs usages et leurs coutumes, ainsi que leurs modes de propriété de la terre et d’application de la justice. Les revendications de la population noire, à l’intérieur du même cadre constitutionnel, ont eu comme référence indiscutable les acquis des indigènes.
Le parcours suivi par les deux types de populations pour fonder leurs demandes a permis à différents universitaires – dont nous – d’affirmer que, dans la teneur du nouvel esprit constitutionnel, ce qui s’est produit en Colombie a été une ethnicisation des races. La population noire, qui avant la Loi 70 de 1993 ne s’était pas vue elle-même comme une ethnie et qui pensait, principalement, que son problème était celui de la discrimination raciale, s’est alors ouverte à un processus par bien des aspects analogue à celui de l’ethnicisation indigène, qui a été, dans un sens plus strict, un processus d’ethnicisation. Ce processus ayant été une réussite, la population noire est vue par beaucoup de ses membres, par la société colombienne et par l’État, comme une ethnie.
Certes, le modèle indigène n’a pas été le seul référent pour le processus d’ethnicisation de la population noire : l’influence de la façon dont les Noirs des États-Unis ont projeté leur identité a également joué un rôle important. En effet, les habitants de ce pays ont tendance à se référer au lieu de provenance de leurs ancêtres qui ont émigré aux États-Unis (Iro-Americans, Italo-Americans, Polish-Americans, etc.) quand ils veulent affirmer leurs racines culturelles. Dans cette logique, les Noirs des États-Unis sont devenus Afro-americans.
L’ethnicisation consiste alors à isoler certaines caractéristiques, présentes dans toute identité humaine complexe (ce qu’est, à la limite, toute identité humaine) et à les associer à un groupe spécifique qui a été préalablement racialisé : les Noirs. Les Noirs ne sont désormais plus une « race » ils sont une ethnie. La catégorie « afro » est une forme d’ethnicisation de la « race » noire urbaine (qui ne s’était en aucun cas vue auparavant comme une ethnie, puisque ces individus ne partagent pas nécessairement de traits culturels communs, qui soient en même temps différents de ceux du reste de la population). Or nous affirmons que le terme ethnicisation ne suffit pas et que nous devons avoir recours à la catégorie de racialisation.
3.2. Racialisation de l’ethnie
La porosité entre la notion ethnique d’« Afro » et la notion raciale de Noir, implicite dans la définition et la perception de l’« Afrocolombianité », explique que se soit produite ce que nous appelons une racialisation de l’ethnie. Celle-ci ne doit pas être comprise dans son acception négative, comme une inversion et/ou une annulation du processus d’ethnicisation de la race, mais davantage comme l’« apparition » logique de l’autre face de la même pièce. En effet, avec l’« essentialisme stratégique »[15], l’identité ethnoculturelle collective « afro-colombienne » n’échappe pas à une racialisation progressive, c’est-à-dire à une charge raciale associée de façon toujours plus importante à l’« Afrocolombianité », en tant qu’expression de pratiques culturelles partagées et ancestrales, et à l’« Afro » en tant qu’agent de mobilisation sociale.
La racialisation de l’ethnie suppose, ainsi, la nécessité de recourir à des arguments fondés sur les différences phénotypiques (comme la couleur de peau) propres au discours raciste, pour repenser la domination et l’exclusion des femmes et des hommes noirs. L’objectif ultime n’est pas tant de combattre le racisme – ce qui serait l’objectif premier et immédiat – que d’associer l’acteur « afro » à une réalité « corporelle » et sociale, que liera sa signification et sa représentativité aujourd’hui à l’histoire du corps réduit en esclavage : un corps de l’homme (et de la femme) noir-africain-esclave humilié, nié et exploité par le colon (blanc, créole et métis). Ce dernier, pour imposer sa domination, s’est appuyé sur le discours naturaliste du phénotype africain ; le Noir-esclave a été « inventé ». Ainsi avec la « racialisation de l’ethnie », les éléments du discours raciste, utilisés pour justifier l’entreprise colonisatrice (Quijano, 2000), sont récupérés et soumis à une nouvelle logique d’inversion discursive, consistant à positiver le phénotype racial noir et les pratiques ethnoculturelles « afros ». De sorte que le « Noir-Afro » devient sujet de la résistance – face à ce que l’on nomme l’« eurocentrisme » – et fer de lance pour la libération face au « système-monde » oppresseur et annihilant envers l’altérité non-occidentale (Dussel, 2006 ; Balibar, Wallerstein, 1997).
Dans ce processus de porosités et de transferts discursifs, le « Noir » prête à l’« Afro » son passé douloureux et l’« Afro » offre au « Noir » l’élargissement du spectre de cette douleur vers une population toujours plus nombreuse, en lui proposant, ainsi, la communion face à sa condition de victime historique et transnationale. Pour que cette « inversion discursive », qui s’opère avec la « racialisation de l’ethnie », ait un effet politique concret, il faut que tous les acteurs noirs assument pleinement le fait d’être « la résistance face à » et le « fer de lance pour ». Mais que gagne-t-on en procédant de la sorte ? Pouvons-nous affirmer que la « racialisation de l’ethnie » supposerait que les sujets identifiés comme « Afros » apprennent à ressentir une condition d’exclusion et de domination ethno-raciale, de laquelle ils n’étaient pas porteurs, ni implicitement ni explicitement ? L’« Afro » sert-il surtout à alimenter le discours idéologique de l’opprimé ?
La racialisation de l’ethnie encourage ce que les sciences sociales appellent l’« empowerment »[16] des minorités ethno-raciales. Ce processus nécessite d’organiser une formation des acteurs au sujet de leur condition de marginalité (sociale, culturelle et politique) pour des raisons raciales. Mais pour que cette formation soit crédible, un discours persuasif ne suffit pas, il faut aussi des preuves tangibles. Dans le cas colombien, les preuves de l’exclusion pour des raisons raciales peuvent être fournies par les données chiffrées du Département National des Statistiques (DANE), lesquelles mettent en évidence le fait que l’inégalité socio-économique frappe particulièrement les populations noires et indigènes du pays[17]. Ainsi, les données du DANE donnent raison à la lecture des défenseurs de l’exclusion pour des raisons raciales, en indiquant que les populations susmentionnées sont la cible privilégiée du déplacement forcé, du manque d’accès à la connaissance spécialisée, à l’emploi et aux services « publics », en particulier la santé.
La situation d’inégalité socio-économique que nous venons de décrire justifie, aux yeux des « afro-colombianistes », des leaders des organisations de base[18], des associations afros et de l’administration (locale et nationale), la mise en place de politiques culturelles et de discrimination positive en faveur des communautés noires, des Afros, des Raizales et des Palenqueros. Pour contrecarrer cette réalité, marquée par l’inégalité sociale et économique, on procède à la formation des populations noires de Colombie à travers des forums, des congrès, des ateliers et tout autre moyen permettant d’amplifier le discours de l’exclusion ethnique et raciale des différentes populations noires de Colombie, en ce qui concerne les lois et les droits spécifiques dont elles bénéficient en tant que groupe culturel différencié.
Revenons à la notion de « racialisation de l’ethnie » et à ses implications (philosophico-sociales et politiques). Dans ce processus de « racialisation de l’ethnie », comme nous venons de le dire, les défenseurs de l’« afro-colombianité » se réapproprient les éléments du discours raciste traditionnel et les soumettent à une nouvelle logique d’inversion discursive qui « positivise » le phénotype racial noir, en l’associant aux pratiques ethnoculturelles qualifiées d’« afro-colombiennes ». Ainsi, l’identité collective « afro » peut être politisée, dans la mesure où elle se transforme en un discours de combat pour l’égalité politique, fondée sur la différence culturelle. En ce sens, les défenseurs de l’« afro-colombianité » privilégient le discours de l’ethnie, et mettent en sourdine les références à la race. Cependant, la catégorie raciale « Noir » n’est jamais loin et ressort, fréquemment, sous la forme d’argument historique qui légitime les demandes sociales, économiques et politiques des populations « afro-colombiennes ». Ceci nous permet de supposer qu’il ne peut y avoir d’« ethnicisation de la race » sans « racialisation de l’ethnie ».
Ainsi, pour pouvoir être une ethnie, les Noirs doivent continuer à être une « race ». C’est ce qu’entraîne, en dernière instance, l’ethnicisation : l’ethnie ne peut exister qu’en référence à un corps en souffrance, et ce corps n’est autre qu’un corps défini par un phénotype spécifique. C’est en cela que consiste la racialisation, et pour cette raison nous utilisons cette catégorie, parce qu’elle exprime l’échec de la tentative de dépassement de la logique propre du racisme, l’échec de l’ethnicisation elle-même.
Or, nous cherchons à rendre compte d’un phénomène en Colombie. Quand il a fallu définir qui était « afro », est apparue la première difficulté : tout « Noir » n’était pas « afro » et l’on pouvait être « afro » sans être (en termes raciaux) un « pur Noir ». Ainsi, le changement de la catégorisation discursive (de « Noir » à « afro ») a pu avoir des effets encore pires : définir tout « Noir » comme « afro » (ou définir ainsi toute part de « Noir » que tout mulâtre ou métisse garde dans son sang et sa physionomie). Ceci signifie, précisément, réinstaller les paramètres du racisme. Finalement, pour nous, l’aspect phénotypique retient l’aspect culturel. L’objectif ultime est celui d’associer l’acteur « afro » à une réalité corporelle et sociale. C’est de positiver le phénotype « noir » et, en même temps, les pratiques ethnoculturelles « afro ». Ainsi, l’identité « afro » est quelque chose qu’il faut capter, former, cultiver. Mais elle ne peut se construire que sur le corps douloureux du « Noir », davantage que sur des pratiques culturelles clairement différentes de celles du reste de la population colombienne (puisque tous les « Noirs » colombiens ne partagent pas ces pratiques supposées).
En interprétant le processus de reconnaissance de la population noire en Colombie en termes de racialisation de l’ethnie, nous constatons comment les revendications tombent dans la contradiction parce qu’elles conservent – quand elles ne les renforcent pas – les catégories binaires à l’origine, précisément, du racisme et de la subordination raciale. Pire encore : que l’État essaye de satisfaire ses demandes en ciblant cette population comme une « race » (peu importe que l’on appelle désormais la « race » « ethnie ») n’a d’autre but que de domestiquer le sujet politique potentiel. En effet, en le laissant dans sa dimension pré-politique, en l’occurrence de sujet racialisé, il l’empêche d’aller vers une politisation de ses demandes en des termes qui, réellement, pourraient affecter les structures du pouvoir ; ce pour quoi, de plus, il devrait transcender sa « condition raciale », niche de son refuge identitaire, et accéder à la compréhension d’autres formes de subordination sociale dont il souffre, non plus en tant que Noir – en plus de celles dont il pâtit déjà de ce fait – et dont souffrent aussi d’autres individus non-Noirs.
4. Conclusion
Ainsi, les revendications liées à l’afro-colombianité tombent dans une sorte de contradiction intrinsèque des revendications identitaires racialisées. Loin d’échapper à une vision conservatrice et binaire de la relation oppresseur-opprimé, elles reproduisent le schéma de représentation des relations de domination avec lequel elles entendaient rompre. Malgré un déplacement du discours d’une philogénèse de l’être Blanc à une philogénèse de l’être Noir, vu sous son aspect positif sous le concept d’« afro », les deux parties de l’équation continuent à avoir besoin l’une de l’autre pour exister (il n’y a pas de Blanc sans Noir et vice-versa, pas d’« Afro » libéré de la domination sans un Blanc dominateur).
Dans ce contexte, il nous semble légitime de se demander sous quelles conditions l’« identité opérationnelle afro » est le vecteur de nouvelles exclusions ou de tensions. Un usage exagéré de l’« essentialisme stratégique » ne conduit-il pas aux mêmes défauts et aux mêmes vices que l’essentialisme traditionnel, pratiqué historiquement par les groupes hégémoniques ? Comment être sûrs que l’identité stratégique « afro » ne finira pas par enfermer dans la notion d’« afro » toutes les expériences possibles des populations noires ? En d’autres termes : comment empêcher que l’usage stratégique ne finisse par s’imposer comme nouvel impératif d’interprétation, en normativisant et en fixant l’identité ?
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– Loi 70, 27 juillet 1993: http://www.sedbogota.edu.co/archivos/SECTOR_EDUCATIVO/LEYES/LEY_70DE_1993.pdf.
– Instituto de Patrimonio y Cultura de Cartagena (IPCC), http://www.ipcc.gov.co/.
– Sentence T-422/96 de la Cour Constitutionnelle de Colombie.
– Décret 4181 de 2007 et décret 4401 de 2008.
– Conseil National des Politiques Économiques et Sociales (Conpes) adopté dans son document 3310.
– DANE (Departamento nacional de estadísticas),
https://adalassociation.org/wp-content/uploads/2016/08/visibilidad_estadistica_etnicos.pdf.
[1] Personnes issues du mélange entre descendants d’esclaves africains et européens ou indigènes.
[2] Personnes d’origine européenne nées sur le territoire américain.
[3] Dans ce travail, ces termes seront utilisés suivant la définition de Peter Wade (1993, p.17).
[4] Sauf mention contraire, toutes les traductions de citation sont de l’auteur de l’article.
[5] La notion existe, aussi, au Brésil où elle est utilisée dans le même sens. Parmi les auteurs qui ont défendu cette idée on peut citer Gilberto Freyre (1952). Comme dans le cas colombien, cette idée va devenir l’idéologie officielle du pays, reprise par le gouvernement et par les médias.
[6] « Tout peuple colonisé – c’est-à-dire tout peuple au sein duquel a pris naissance un complexe d’infériorité, du fait de la mise au tombeau de l’originalité culturelle locale – se situe vis-à-vis de la culture métropolitaine. Le colonisé se sera d’autant plus échappé de sa brousse qu’il aura fait siennes les valeurs culturelles de la métropole. Il sera d’autant plus blanc qu’il aura rejeté sa noirceur, sa brousse » (Fanon, 1952, p. 14).
[7] « Huellas de africanía ». Faute d’équivalent exact en langue française, nous prenons dans ce texte la liberté de traduire « africanía » par « africanité », et cette expression par « traces d’africanité ». Celles-ci doivent s’entendre comme des « symboles, iconographies et associations iconographiques qui resteront dans le conscient et l’inconscient des africains et de leurs descendants, [et qui] ont pris part à la formation des cultures afro-américaines » (Friedemann, 1992, p.12).
[8] Certains travaux menés par Nina de Friedemann (1970) à Palenque de San Basilio (village situé à 70 km au sud de la ville de Carthagène, et déclaré patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO en 2005) lui ont permis de renforcer cette idée de traces d’africanité chez les populations noires de la Côte Caraïbe : dans le Kilombo des cimarrones (esclaves marrons) de Palenque, l’anthropologue a trouvé un ensemble de pratiques sociales, éthiques, linguistiques et artistiques qui distinguaient ceux-ci d’autres populations de la région.
[9] Comme l’explique Védrine, chez Sartre, la liberté est la condition de la possibilité profonde, angoissante et ontologique (structures de l’être), d’être « en-soi et pour-soi ». Il n’y a pas d’être sans liberté. Bien que notre travail ne porte pas directement sur la notion de Sujet, il nous semble utile de renvoyer à cette relation sartrienne entre liberté-être-existence-savoir, développée dans La Transcendance de l’Ego, 1936, et L’Être et le Néant, 1943 (Védrine, 2000, pp. 57-79).
[10] Par action politique, nous entendons ici toute praxis informée, consciemment ou inconsciemment, par des principes de l’ordre du politique c’est-à-dire qui ont pour objet la mobilisation dans la recherche d’un projet collectif pour l’obtention du « pouvoir pour ».
[11] Il est important de signaler que la Cour Constitutionnelle a invalidé cet article 66 par la Sentence C-484-96 du 26 septembre 1996. Cependant la loi a été rétablie pour la période des élections législatives de 2002. Durant ces élections, deux représentants noirs ont été élus : María Isabel Urrutia et Wellington Ortiz.
[12] Cette définition suit le modèle de définition ethnique des peuples indigènes du département du Cauca en Colombie. On parle ainsi d’« indigénisation de l’identité noire ».
[13] On donne le nom d’« afro-réparations » aux politiques publiques de discrimination positive en faveur des populations noires du pays.
[14] Raizal : Population de l’île colombienne de San Andrés et Providencia, dans la mer des Caraïbes. Palenquero : population du village de Palenque, à 60 km de la ville de Carthagène des Indes.
[15] Le concept est de Gayatri Spivat (1987), qui se présente comme un critique de l’essentialisme universaliste et affirme que toutes les identités, qu’elles soient de genre, de classe ou ethniques, sont socialement construites, donc contingentes. Il attire nonobstant l’attention sur le fait que, dans la vie quotidienne et dans les luttes sociales, les individus se réfèrent fréquemment à de telles essences, à tel point qu’il semble difficile de les faire disparaître.
[16] Octroi de plus de pouvoir aux individus ou aux groupes pour agir sur leurs conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques.
[17] Selon des données du DANE (2005, derniers recensements de population), en Colombie 3,4% de la population s’identifie comme « indigènes », 0,001% comme Roms et 10,62% de la population comme « afro ». La question sur l’appartenance ethnique dans le recensement permettait au sondé de s’auto-reconnaître comme membre d’une ethnie, en répondant « En accord avec votre culture, votre peuple ou vos traits physiques,…êtes-vous ou vous reconnaissez-vous comme …? ». Pour correspondre à l’identification « Afro », le sondé devait choisir la réponse n°5, à savoir « Noir(e), mulâtre, Afrocolombien(ne) ou Afrodescendant(e) ». Ceci signifie-t-il qu’être mulâtre ou noir ou zambo implique d’appartenir au groupe « afro-colombien » ? Si tel est le cas, on a recours – sans le dire – à la théorie de la « pureté de sang » pour catégoriser sous la dénomination d’« afro-colombien » des éléments raciaux.
[18] « Associations constituées de personnes de la Communauté Noire, qui agissent au niveau local, en revendiquant et en promouvant les droits territoriaux, culturels, économiques, politiques, sociaux, environnementaux et la participation et la prise de décisions autonomes de ce groupe ethnique » (voir : Conseil d’État – Chambre du Contentieux Administratif. Première chambre. n°: 11001 0324 000 2007 00039 00. Bogotá. 05/08/2010).