Étudiant.e.s et jeunes chercheur.e.s
En Amérique latine, la seconde décennie des années 2000 s’est soldée par l’irruption ou l’exacerbation de phénomènes climatiques, environnementaux et sanitaires, mettant en exergue des situations de tensions déjà existantes, comme la fracture sociale, économique et digitale. De plus, la migration transfrontalière est devenue une réalité qui touche l’ensemble du continent ; c’est le cas particulier du Venezuela, avec six millions d’émigrés dans d’autres pays latino-américains[1], ou de la Colombie[2]qui, selon l’État, compte cinq millions de citoyens ayant quitté leur pays[3]. Toutes les frontières du continent ont été touchées par des flux migratoires accrus – venus des Caraïbes, mais aussi d’Afrique – générant, entre autres, des phénomènes de xénophobie entre les migrants et la population des pays d’accueil. À l’origine de cette situation se trouvent non seulement des conditions politiques difficiles, comme l’impunité et les violations des droits de la personne, mais aussi sociales, marquées par la pauvreté, la violence, la précarité de l’emploi et des discours sécuritaires, négationnistes ou xénophobes, touchant l’ensemble du sous-continent et engendrant une dynamique politique qui oscille, au travers de deux décennies, entre l’élection de gouvernements qualifiés de gauche et de droite.
En outre, la pandémie de COVID-19 a aggravé les conditions des centaines de milliers de travailleurs précaires, des chômeurs (presque 10 % en moyenne[4]), des travailleurs informels (53 % selon l’OIT), etc. Ces populations ont subi les confinements sans bénéficier de l’aide gouvernementale et sans avoir la possibilité de sortir pour chercher leur subsistance quotidienne. La difficile situation sociale pré et post-pandémie est le scénario des mobilisations collectives des plus démunis et des demandes d’élargissement des droits – pour les minorités sexuelles, les communautés indigènes et afro-descendantes, entre autres. Protestations et révoltes sociales dans plusieurs pays du continent[5], comme au Chili (2019-2021), par exemple, ou en Colombie (2019-2021), annoncent une force sociale qui réclame des changements structuraux.
Dans ce contexte, différents discours ont émergé. D’une part, ceux de divers acteurs sociaux qui s’imposent comme locuteurs légitimes d’une scène politique de laquelle ils étaient pourtant marginalisés (Corten, Huart et Peñafiel, 2012) ; et, d’autre part, ceux des gouvernements successifs qui ont été obligés de répondre de leurs actes et de justifier leurs actions. Un flux discursif s’opère ainsi de part et d’autre dans l’objectif d’argumenter et de justifier leur « légitimité » dans l’action déployée. Bien que ces énoncés s’inscrivent dans un contexte spécifique, ils créent des conditions de mobilisation et d’action plus élargies vis-à-vis de nouvelles réalités sociales et politiques. Or les discours de ces acteurs entrent en compétition dans la lutte pour imposer leur interprétation de la réalité et leur conception de la « vérité ». Ainsi, en se proposant comme clé de voûte pour la compréhension de la crise (ou des crises), ces discours participent à leur tour à la construction de la réalité.
En considérant que la représentation du réel du monde politique et social est construite dans et par le discours, ce colloque international cherche à établir un éclairage sur la manière dont les discours institutionnels et non institutionnels, individuels et collectifs, participent à la construction des différentes réalités en Amérique latine face à ces événements. Il s’agit d’observer comment les diverses constructions discursives obéissent à des conditions socio-historiques et sont ancrées dans la réalité à partir de procédés discursifs spécifiques. Ceux-là se manifestent, par exemple, par l’utilisation de formules (Krieg-Planque, 2009) et mettent en évidence le processus de nomination et de désignation qui opèrent afin d’atteindre un but (Cislaru, Guérin, Norim, Née, 2007).
Il est donc question à la fois d’observer les discours considérés comme institutionnels [Instituere] – l’ensemble des discours que l’on peut considérer à des degrés divers comme des discours « autorisés » émanant d’une institution (Oger et Ollivier-Yaniv, 2003), – et les discours non institutionnels – ceux des acteurs sociaux qui produisent des discours sur eux-mêmes et sur leurs conditions d’existence.
En prenant la définition des « actes d’institution » comme une sorte d’acte de nomination par lequel on signifie quelque chose à quelqu’un (Bourdieu, 2015) l’acte de communication institutionnel participe à la construction de la réalité, tout en étant un produit de cette même réalité. Dans ce sens, les propositions de communication devront s’inscrire dans l’un des deux axes suivants :
- Les discours médiatiques, institutionnels ou institutionnalisés, en lien avec des phénomènes naturels (climatiques, environnementaux, sanitaires, etc.) ou avec des crises politiques, donnant forme à « l’événement » au travers de la dispersion matérielle (Foucault, 1971) :
- Comment les États et / ou les médias (traditionnels, alternatifs, pure players) communiquent-ils en réponse aux graves crises générées par la pandémie ou par les phénomènes climatiques ?
- Quels genres de discours les dirigeants ont-ils utilisé dans leur volonté d’influencer, d’orienter ou de conditionner certains comportements des citoyens ?
- En quoi les discours politiques sur l’environnement en Amérique latine et aux Caraïbes ont-ils pris place dans la construction événementielle ? Comment peut-on les caractériser ?
- En quoi un discours peut-il être qualifié de « populiste » et quels sont les débats en lien avec les situations de crises (migratoires, sécuritaires, juridiques, relatives aux droits de la personne, etc.) en Amérique latine ?
- Comment les discours sur le développement et l’avenir politique du continent reflètent-ils la discussion autour des anciens paradigmes du monde bipolaire (la menace communiste, l’ennemi interne, l’idéologie, l’impérialisme, etc.) ?
2. Les discours circulant dans l’espace public et qui, néanmoins, se considèrent ou sont considérés comme « non institutionnalisés » du fait de leur opposition aux discours institutionnels. Il s’agit d’observer, vis-à-vis du paradigme institutionnel dominant, les discours des mouvements sociaux (des victimes, des minorités, des secteurs invisibilisées, etc.) et leur processus de construction de légitimité :
- En quoi les réseaux sociaux numériques (RSN) ont-ils ouvert une « fenêtre d’opportunité » (Tarrow, Sydney, 1994), d’un point de vue énonciatif, propice à l’action des mouvements sociaux ? Comment les citoyens se sont-ils appropriés certains canaux de communication et comment ont-ils adapté leur stratégie discursive pour s’exprimer, s’organiser, se mobiliser ou être efficaces ?
- Comment le discours sur le changement climatique en Amérique latine mobilise-t-il des jeunes militants, des communautés autochtones, des opposants à la pensée unique, etc., dans l’espoir de préserver la planète et de lutter contre le réchauffement climatique ?
- Comment le discours politique, matérialisé dans un genre discursif particulier (tel que le discours politique ou numérique), réactive la notion de militance et de reconnaissance (Honneth Axel, 1992) en générant de nouvelles figures politiques médiatiques ?
- Ou, à l’inverse, comment des actions directes spontanées (Corten, Huart et Peñafiel, 2012) – comme les « estallidos » (explosions sociales) ou les soulèvements populaires – parviennent-elles à instaurer de nouvelles subjectivations politiques et de nouvelles conditions de possibilité pour des positions sociales et énonciatives invisibilisées ?
- En quoi les processus de captation et de subversion (Maingueneau, 2016) se manifestent-ils comme mécanismes de communication pour organiser l’opposition, en s’insérant dans une logique symbolique propice à la discussion démocratique ?
Organisation
Nous invitons les étudiant.e.s et les jeunes chercheur.e.s à présenter, lors du colloque, un poster en lien avec l’un des axes proposés. Les propositions peuvent être envoyées d’ici le 30 octobre 2023 en français, en espagnol ou en portugais à adal@colloque-adal2024.org via un fichier word anonymisé, contenant uniquement le titre de la proposition, un résumé de 500 mots (bibliographie non comprise) avec la problématique, la méthodologie, les hypothèses ou résultats qui seront présentés, cinq mots-clés et cinq références bibliographiques. Le corps de l’email devra inclure le nom de l’auteur(e), son rattachement institutionnel et sa discipline, son adresse mail et le titre de la proposition. En cas d’acceptation, une inscription d’un montant de 40 euros sera demandée.
Lieu du colloque :
École des Hautes Études Internationales et Politiques (HEIP)
Campus Cœur Défense
100-110 Espl. du Général de Gaulle, 92400 Courbevoie
Inscriptions :
L’inscription se fait en ligne sur le site web du colloque.
Le montant comprend les pauses café, le cocktail de bienvenue, les déjeuners et le matériel du colloque.
- Les frais de déplacement et d’hébergement sont à la charge des intervenant-e-s
Conférenciers invités confirmés :
- Patrick Charaudeau (Université Sorbonne Paris Nord – CNRS-CERLIS, Université Paris Cité)
- Wander Emediato (Universidade Federal de Minas Gerais, Brésil)
- Maria Eugenia Flores Treviño (Universidad Autónoma de Nuevo León, Mexique)
- Franck Gaudichaud (Université Toulouse Jean Jaurès – FRAMESPA)
- Sophie Moirand (Université Sorbonne Nouvelle, Université des cultures)
- Ricardo Peñafiel (Université du Québec à Montréal, Canada)
Comité d’organisation :
- Morgan Donot (HEIP / Université Sorbonne Nouvelle)
- Henry Hernández Bayter (Université de Lille – STL)
- Gauthier Alexandre Herrera (Université Lyon 2 – ELICO)
- Andrea Parra (CNRS – Université des Antilles)
- Claudio Ramírez (K.U. Leuven)
- Camila Ribeiro (La Rochelle Université – CRHIA)
- Yeny Serrano (Université de Strasbourg – LISEC)
Comité scientifique :
- Thais Barbosa (Université Bordeaux Montaigne – MICA, Université de Limoges – EHIC, Université Fédérale du Paraná – PPGCP)
- Dorothée Chouitem (Sorbonne Université – CRIMIC)
- Morgan Donot (HEIP / Université Sorbonne Nouvelle)
- Mariano Dagatti (Universidad Nacional de Entre Rios – CITRA, CONICET)
- Henry Hernández Bayter (Université de Lille – STL)
- Gauthier Alexandre Herrera (Université Lyon 2 – ELICO)
- Camila Moreira Cesar (Université Sorbonne Nouvelle – IRMÉCCEN)
- Ana Soledad Montero (Universidad Nacional de San Martín – CONICET)
- Sophie Moirand (professeure émérite, Université Sorbonne Nouvelle)
- Andrea Parra (CNRS – Université des Antilles)
- Ricardo Peñafiel (Université du Québec à Montréal)
- Camila Pérez Lagos (ISTC Lille)
- Claudio Ramírez (K.U. Leuven)
- Dario Rodriguez (Sorbonne Université – CRIMIC)
- Camila Ribeiro (La Rochelle Université – CRHIA)
- Pablo Segovia (Universidad de Concepción)
- Yeny Serrano (Université de Strasbourg – LISEC)
1. Chiffres au mois de décembre 2022 : https://www.imf.org/es/News/Articles/2022/12/06/cf-venezuelas-migrants-bring-economic-opportunity-to-latin-america
2 . https://www.oecd-ilibrary.org/sites/3894985a-fr/index.html?itemId=/content/component/3894985a-fr#indicator-d1e59446
3. Les chiffres pour la Colombie oscillent entre 5 et 8 millions de Colombiens vivant à l’étranger. Source : Congrès de la République de Colombie. https://www.camara.gov.co/presupuesto-y-censo-necesarios-para-atender-migrantes-colombianos
4. https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_836226/lang–fr/index.htm
5. L’Argentine, le Costa-Rica, le Brésil, l’Équateur, la Bolivie, le Pérou, le Venezuela, le Nicaragua ont connu des manifestations citoyennes entre 2019 et 2020. Il en est de même pour Cuba et le Paraguay, ainsi que le Guatemala et le Salvador en 2021.